Claudine ageron Marque

Abstract

Si nous choisissions une autre façon d’aborder les nouveau-nés.
Si nous nous permettions les voir comme des Grands en devenir ?
Et si nous ostéopathes qui avons la chance de sentir avec nos mains ces tensions tissulaires sans que les mots soient nécessaires nous accordions à ces nouveau-nés le droit de ne pas souffrir pour sortir de leurs tensions ?

Et si nous nous occupions de la douleur et l’inconfort du nouveau-né en ostéopathie ?

Introduction

La notion qu’un bébé, un enfant, puisse être douloureux est récente dans la pratique médicale.

Si nous avons la curiosité de lire des articles pédiatriques avant les années 85-90, nous apprenions que la douleur était sans conséquence, que l’enfant n’avait aucun souvenir de la douleur, que l’information nociceptive favorise un vrai diagnostic, mieux encore pour des enfants plus grands à l’époque des châtiments corporels, cela permettait de « forger le caractère, d’éduquer ».

Il faudra attendre des pédiatres comme le Docteur Gauvain Piquard pour lancer les premières études sur la douleur chez l’enfant (grille DEGR) et faire tomber le mythe, que l’enfant ne pouvait pas ressentir la douleur.

Le docteur KJS Anand, mettra en place, un peu plus tard, une autre grille d’évaluation pour les enfants hospitalisés (CHEOPS)

 

Quelle est la définition de la douleur chez l’adulte ?

« La douleur est un phénomène multidimensionnel exprimée par la description personnelle de l’expérience sensorielle et émotionnelle de l’individu avec une lésion tissulaire réelle ou virtuelle » (International Association for the Study of Pain ; Merskey, 1979).

Cette définition n’est pas applicable pour chez l’enfant.

En 1996 Anand et Craig propose une autre définition :
« La douleur chez l’enfant est une condition inhérente à la vie qui apparaît précocement dans l‘ontogénie et qui sert de signal d’alarme. »

En 1988, Dans la charte de l’enfant hospitalisé,  préparée par plusieurs associations européennes, nous pouvons lire ;
Article 5 : «On évitera tout examen ou traitement qui n’est pas indispensable. On essaiera de réduire au minimum les agressions physiques ou émotionnelles et la douleur.»

En 2006-2008, Dans le Plan de Lutte contre la douleur 2006-2010 :
« Priorité 1 : améliorer la prise en charge des douleurs des populations les plus vulnérables notamment des enfants et des adolescents. »

 

Quels sont les signes de la douleur

Douleur aiguë chez l’enfant

  • Grimaces, froncement du visage,
  • Position particulière dite antalgique,
  • Refus d’être touché sur le zone douloureuse,
  • Raideurs du corps (rejet en arrière),
  • Pleurs, cris, agitation,
  • Changement de couleur,
  • Communication difficile avec l’enfant,

Douleur prolongée chez l’enfant

  • Visage devient inexpressif,
  • Immobilité,
  • Refus de communication,
  • Perte d’intérêt pour le jeu,
  • Perte d’appétit,
  • Enfant « trop sage »

 

Les voies de la douleur

D’une façon simplifiée,  l’apparition des premiers récepteurs se fait à partir de 7 SA (région péribuccale) pour à 20 SA atteindre toute la surface cutaneo-muqueuse.

Les circuits d’influx nerveux nociceptifs sont fonctionnels entre 24 et 30 SA

La physiologie de la douleur

Le message est véhiculé de la périphérie aux centres supérieurs 

  • Pour les voies Lemniscales ; axones Alpha, Bêta, Delta, corne gauche, bulbe, thalamus, cortex sensitif.
  • Pour les voies extra-lemniscales ; axones, Delta et C, corne postérieure puis croise corne antérieure opposée, faisceau spinothalamique, thalamus, cortex sensitif.

 

Dilingco.com, web links physio1_3

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Les informations empruntent des fibres nerveuses qui n’ont pas la même vitesse de conduction, ni le même calibre, ni le même rôle.

Ainsi les fibres sensitives Alpha, sensibilité générale, voie lemniscale (conscience), myélinisées, de très gros calibres, avec une vitesse des plus rapides et dont les récepteurs se situent au niveau des muscles.

Les fibres sensitives Bêta, sensibilité générale, myélinisées ,voie lemniscale, de gros calibres, rapides, récepteurs, mécanorécepteurs de la peau.

Les fibres sensitives Delta, sensibilité nociceptive, voie extralemniscale, myélinisées, de diamètres fins, conduction assez rapide, ce sont des récepteurs nocicepteurs, thermorécepteurs, douleur (douleur, défense).

Les fibres C, très fines, non myélisées, conduction très lents, récepteurs nocicepteurs, thermorécepteurs.

 

Les voies inhibitrices

A chaque niveau, il existe des modulations de l’information nociceptive

Système périphérique et médullaire théorie du portillon (Gate control, n° 2)

  • Les fibres sensitives cutanées ou articulaires de gros calibre inhibent les fibres des voies de la nociception de petit calibre (Massage, bercement…)

Inhibition centrale

  • Réponse descendante du cerveau vers la périphérie, sérotonine, noradrénaline, les freins endocriniens, l’endorphine, (en vert et jaune sur le schéma)

 

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Chez l’enfant les voies inhibitrices sont globalement immatures,
Les voies descendantes inhibitrices (Millan 2002- descendind control of pain, D’Mello R, Dickenson AH. Spinal cord mechanisms of pain. Br Anaest. 2008)

Les neurotransmetteurs (Sérotonine, noradrénaline) font défaut.
Les opioïdes restent à des taux très faibles.
La notion de filtrage au niveau thalamique est très insuffisante.
La myélinisation est incomplète.
Le champ de réception est mal défini.
Immaturité des fibres inhibitrices médullaires.
Le système inhibiteur se développe surtout après la naissance et plus compétant après 6 mois.
Il en résulte des seuils douloureux abaissées dans les 6 premiers mois surtout si les événements nociceptifs sont répétés (donc la perception de la douleur est exponentielle chez les prématurés).

Exemple l’analyse de la NIRS et EEG montre une altération de l’activité corticale pendant une ponction veineuse au talon chez un nouveau-né.

Application aux consultations pédiatriques ostéopathiques

Vous l’aurez compris, laisser pleurer un enfant pendant toute une séance, avec l’éclairage de la neurologie n’a aucun sens.

Ne pas tenir compte de la douleur est irrespectueux envers l’être humain enfant.

Comprenons bien que le simple fait de saisir une main chez un prématuré peut générer des sensations douloureuses.

Évaluer la douleur pendant votre travail ostéopathique

Prendre le temps de se présenter, attendre que les yeux de l’enfant soient ouverts et vous regardent.

Faites le calme à l’intérieur de vous, vous êtes dans un langage non verbal subtile, rien ne doit interrompre ce dialogue silencieux.

En plaçant une main sous l’occiput et une main sous le sacrum, le bébé est en situation de sécurité, vos mains ostéopathiques peuvent déjà écouter « la chanson de la vie, le rythme du vivant, les respirations ; primaire et secondaire, l’état de tous les tissus.

Commencez par lui parler, « Que puis-je faire pour toi ?»

Observez, écoutez toutes les réponses.

Regardez ce que l’enfant vous indique.

Cet enfant est-il serein, limité, dans l’inconfort, douloureux ?

Rappelez-vous, avant de choisir un axe de travail qu’il est souhaitable de réduire toutes les agressions physiques ou émotionnelles et la douleur au maximum.

Ensuite en fonction de la myélinisation des territoires vous allez pouvoir utiliser « la théorie du portillon ou « gate control ».

Il s’agit d’introduire en même temps une sensation agréable et une sensation moins agréable, voir un peu douloureuse. Selon cette théorie, les sensations douloureuses empruntent des conductions plus lentes alors, qu’une caresse, un bercement, empruntent des fibres myélinisées et arrivent les premières au niveau de la perception, il en résulte une minimisation de la perception nociceptive.

Lorsque vous avez un tout petit dans les mains, les territoires myélinisés sont péri buccaux. Il suffit de lui caresser la joue ou de le bercer, pendant que vous faites une mise en tension tissulaire.

Il peut aussi téter du bon lait chaud du sein de sa maman.

Si la douleur devient trop importante, que les cris apparaissent (attention le seuil de la douleur est abaissé), relâchez et attendez pour reprendre la mise en tension.

Vous ne perdez pas de temps, vous permettez à l’enfant de récupérer, votre traitement sera plus efficace.

Au fur et à mesure de la myélisation des nerfs sensitifs, vous pourrez stimuler d’autres zones pour mettre en place cette double stimulation.

Autre point important, votre présence et votre tranquillité. Ce n’est pas le moment de répondre aux téléphone ou de penser à vos factures que vous avez oublié de payer. Ce bébé est dans vos mains, il ne peut pas s’échapper, soyez son nid douillet ou il puisse se poser. Soyez calme, tranquille, bienveillant, expliquez-lui ce que vous faites.

Chantez des comptines, elles rassureront les parents, l’enfant et surtout vous l’ostéopathe. Une narration, douce, tranquille, peut aussi être utilisée afin de mettre en place une forme d’hypnose narrative pour tout petit.

A la fin de la séance, ne le laissez pas partir endormi, réveillez-le doucement.

Jusqu’à 6 mois la balance ortho-para est immature. Et ce petit(e) homme – femme glisse déjà spontanément en hyper-para sympathicotonie.

Donc, je réveille doucement ce bébé, lui explique que tout est terminé et maintenant qu’il peut se rendormir.

Évaluez votre travail

L’utilisation de grilles d’évaluation de la douleur comme EDIN,  (Échelle de la douleur et d’inconfort du nouveau-né), pour des nouveau-nés et nourrissons jusqu’à 9 mois.

Cette grille sera remplie par les parents quelques heures après la séance puis 3 à 5 jours après le soin ostéopathique.

Le score permettra observer si l’inconfort ou la douleur du nouveau-né se sont améliorés par rapport à votre observation voir la première grille remplie avant le traitement ostéopathique d’objectiver votre action et de modifier notre futur traitement en fonction des réponses et du score.

 

Le score de 0 à 15, seuil de traitement 5 (Antalgique pour les enfants hospitalisés).

Visage

  • 0 : Visage détendu
  • 1 : Grimaces passagères : froncement des sourcils / lèvres pincées / plissement du menton / tremblement du menton
  • 2 : Grimaces fréquentes, marquées ou prolongées
  • 3 : Crispation permanente ou visage prostré, figé ou visage violacé

Corps

  • 0 : Détendu
  • 1 : Agitation transitoire, assez souvent calme
  • 2 : Agitation fréquente mais retour au calme possible
  • 3 : Agitation permanente, crispation des extrémités, raideur des membres ou motricité très pauvre et limitée, avec corps figé

Sommeil

  • 0 : S'endort facilement, sommeil prolongé, calme
  • 1 : S'endort difficilement
  • 2 : Se réveille spontanément en dehors des soins et fréquemment, sommeil agité
  • 3 : Pas de sommeil

Relation

  • 0 : Sourire aux anges, sourire-réponse, attentif à l'écoute
  • 1 : Appréhension passagère au moment du contact
  • 2 : Contact difficile, cri à la moindre stimulation
  • 3 : Refuse le contact, aucune relation possible. Hurlement ou gémissement sans la moindre stimulation

Réconfort

  • 0 : N'a pas besoin de réconfort
  • 1 : Se calme rapidement lors des caresses, au son de la voix ou à la succion
  • 2 : Se calme difficilement
  • 3 : Inconsolable. Succion désespérée

Observations

Score total

DEBILLON T, SGAGGERO B, ZUPAN V, TRES F, MAGNY JF, BOUGUIN MA, DEHAN M. Sémiologie de la douleur chez le prématuré.Arch Pédiatre 1994, 1, 1085-1092. DEBILLON T., ZUPAN V., RAVAULT N, MAGNY J.F., DEHAN M. Development and initial validation of the EDIN scale, a new tool for assessing prolonged pain in preterm infants. Arch Did Child Neonatal Ed 2001, 85 : F36-F41.

Bien sûr il faudra prendre le temps d’expliquer l’intérêt du remplissage de cette grille qui mal utilisée peut s’avérer totalement inutilisable.

II existe de nombreux autres moyens d’évaluation l’inconfort et la douleur chez le nouveau-né et nous pourrions critiquer la pertinence du choix de cette grille.

Remplir cette évaluation est un moyen d’objectiver notre travail, de prendre en compte les perceptions sensitives de l’enfant, de réaliser la portée de nos actes thérapeutiques.

Conclusion, le cri de l’enfant

Le cri de l’insécurité du bébé pré-néolithique (Ingrid Bayot) qui a permis à la communauté des premiers hommes de prendre en charge le nouveau-né et ne pas l’oublier et à l’homo sapiens sapiens   d’arriver au 20e siècle

Inconfort, peur, douleur ?
Libérateur de tension ?
Soin ?

Si nous choisissions une autre façon d’aborder les nouveau-nés ?

Si nous nous permettions les voir comme des Grands en devenir ?

Et si nous ostéopathes qui avons la chance de sentir avec nos mains ces tensions tissulaires sans que les mots soient nécessaires nous accordions à ces nouveau-nés le droit de ne pas souffrir pour sortir de leurs tensions ?

 

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